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« Les inégalités se creusent entre les consommateurs »

06/05/2020
Marianne Roumégoux
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Pascale Hébel, directrice Prospective Consommation du Crédoc

 

Quelles tendances de consommation se jouent pendant le confinement ?

La consommation se fait actuellement sous contraintes. Du fait de la fermeture de frontières pour certaines importations, et de gros problèmes logistiques dans les ports, notamment en Chine où des containers restent bloqués, l’offre se trouve restreinte. Une fois les stocks des distributeurs épuisés, les choix sont plus limités. Par ailleurs, les grandes surfaces ont joué le jeu de s'approvisionner en Made in France, voire en local, pour soutenir les producteurs et face aux difficultés logistiques rencontrées.

Les déplacements sont contraints, du côté des fournisseurs comme des consommateurs évidemment. Résultat, les ventes via le drive et le e-commerce ont doublé, en valeur comme en fréquence. Le contexte incite à un changement de comportement d’achat, qui s’observe au-delà de l'alimentation. Cela donne un coup d'accélérateur à ces deux tendances qui pourraient bien s'inscrire dans la durée.

 

Les achats alimentaires sont actuellement plus conséquents. Cela engendre-t-il une tension générale sur les prix, comme certains le soulèvent ?

Les prix de vente des produits bruts ont progressé de 9%, selon UFC que choisir. Cela est la traduction de l’offre disponible : les coûts de production sont plus élevés en France et les produits sont logiquement plus chers. Résultat, les achats de produits frais reculent.

 

“Le marché est scindé entre les premiers prix et le Premium.”

 

Sur la question des approvisionnements locaux, on observe une fragmentation de la population. Et celle-ci s'accentue actuellement. Depuis la crise économique de 2008, une partie des Français se tourne de plus en plus vers des produits pour leurs vertus liées au développement durable, comme le Bio, le local ou le sans plastique. Les achats en circuits courts ont été multipliés par deux pendant le confinement. La fermeture des marchés forains a conduit les producteurs à développer des solutions s'appuyant sur le e-commerce et à développer l’offre selon de nouveaux formats tels que des paniers déjà composés ou des livraisons qui étaient jusqu’ici réservées à la restauration. Ces approvisionnements locaux ne concernent que 1% de la population. Il y a une large part des Français qui a besoin de produits moins chers. Certains dépendent de l'aide alimentaire, d'autres n'ont pas assez d'espace pour cuisiner, pas de four,.... Sans compter que 20% de la population est au front. Parmi eux on compte beaucoup de femmes ayant peu de moyens et qui, trop prises par leur activité, n’ont pas de temps pour faire leurs courses. Des infirmières, des hôtesses de caisse mais aussi des personnes parfois payées au noir qui se retrouvent sans revenu, sont en difficulté. Et c'est sans compter sur les plus âgés, qui parfois sont isolés ou manquent de mobilité. Une partie de la population n'a plus de quoi vivre. Cela crée une profonde frustration.

A l’opposé, les consommateurs de Bio figurent surtout dans le quart de la population qui télétravaille. L'écart de prix sur les produits biologiques avec les produits standards a atteint 40%, mais la hausse de la consommation se poursuit. Elle progresse de 20% (d’avril 2020 par rapport à avril 2019), contre +14% avant le confinement.

Il n'y a plus de place pour les produits milieu de gamme. Le marché est scindé entre premiers prix et le Premium. Il n'y a en fait pas d'inflation à marque et packaging égaux mais des écarts de prix plus marqués.

 

Quels sont les déterminismes de la consommation actuelle ?

Alors que depuis les 30 glorieuses, les besoins se sont peu à peu portés sur le superflus, désormais la nécessité se concentre sur ce qui est vital. Et il y a de vraies inégalités qui se creusent. On observe un gap entre ceux qui n'ont plus de dépenses annexes (loisirs, vacances,...) et concentrent leur budget sur leur alimentation, d’une part, et ceux pour qui la nourriture représente 30% du budget, le reste étant le logement, d’autre part. Pour les plus modestes, sans la subvention de la cantine qui permet de manger pour 1 euro alors qu'un repas équilibré revient à 4-5 euros, la situation est très difficile. Une crise sociale pourrait bien couver.

Cela est particulièrement vrai dans les grandes villes et il y a des particularités régionales. En Occitanie notamment, l'accès à l'alimentation s'avère plus facile car la production locale est plus riche, plus diversifiée, et proposée en GMS.

Dans ce contexte, un Français sur deux s'est mis à cuisiner plus qu'avant. Ce sont une fois encore les plus favorisés. Avoir eu la chance d'une transmission du savoir-faire culinaire constitue un haut capital culturel. A défaut les plus aisés ont pris des cours pour leurs loisirs. Le fait-même d’utiliser internet pour trouver des recettes n’est pas donné à tous. De même lorsqu’il s’agit d’identifier des offres de livraisons nouvelles. Et aujourd'hui, il n'y a plus l'entraide qui a pu exister par le passé, avec des cuisines partagées par exemple. Même s'il y a des initiatives, les difficultés ressurgissent. Une partie de la population continue toutefois de sortir et se rendre utile, des apéro virtuels s’organisent, les partages de recettes se multiplient... Une vie sociale se recrée, preuve d'une résilience forte. Mais cela ne concerne bel et bien qu’une frange de la population. Une autre part vit, au contraire, un repli sur soi et nourrit une vraie colère.

De la même manière, seuls 20% des Français sont en télétravail et ont donc une occupation. Ceux-ci peuvent voir de bons côtés à la situation. Mais la moitié de la population, dont des retraités certes, ne fait rien, cloîtrée chez elle. Hausse de l'anxiété, perte du sommeil, progression de la consommation d'alcool, multiplication des violences intra-conjugales... en sont des conséquences. En parallèle, les médias, dont les réseaux sociaux, les abreuvent de divertissements et de légèreté, parlant des séries, des spectacles, de la Food... De quoi alimenter encore la frustration... 

 Photo: JIM WALLACE PHOTO-269

Commentaires:

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1 commentaire

Par Anonymous - May 31, 2020 07:04
Analyse très pensée unique ...et très théorique ,en quoi le Bio est Premium ?
Score: 1